Marginale il y a encore quelques décennies, l’économie de l’abonnement a connu un essor spectaculaire au cours de ces dernières années. Le phénomène a été amplifié par la pandémie de Covid-19 et s’étend désormais à de nouveaux pans de l’économie.
Que ce soit pour regarder des films et des séries, écouter de la musique, aller au cinéma ou à la salle de sport, bénéficier d’un forfait téléphonique, se faire livrer, s’informer ou encore voyager, il y a de fortes chances que ces services soient accessibles par abonnement. Ce modèle économique a connu un essor spectaculaire ces ultimes années sous l’impulsion de services populaires comme Netflix et Spotify, véritables pionniers en la matière.
Aujourd’hui, ce marché mondial pèse plus de 200 milliards de dollars et devrait approcher la barre des 500 milliards en 2025, selon le rapport Subscronomics Report 2021 de Telecoming, qui a compilé les données de Juniper Research. Ces prévisions sont conformes à celles de Fabernovel, groupe spécialisé dans le conseil pour épauler les entreprises dans leur transformation numérique, à l’origine de l’étude Netflixisation : vers une généralisation de l’économie de l’abonnement pour toutes les industries ? réalisée pour le compte de Zuora, qui aide les entreprises ayant recours à ce modèle. Dans cette dernière étude, il est estimé que le marché devrait progresser à un taux annuel moyen de 68 % entre 2019 et 2025 pour atteindre 478,2 milliards de dollars en 2025. Dans cet écosystème mondial en pleine mutation, il y aurait aujourd’hui plus de 2200 milliards d’abonnements dans le monde, selon Telecoming.
50 millions d’abonnements en France
En France, il y en a près de 50 millions qui permettent de générer un chiffre d’affaires de 5,3 milliards d’euros, ce qui représente 9 % du marché européen. Avec de tels chiffres, la France monte sur la troisième marche du podium, derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni. Le marché hexagonal est même en pleine croissance, à un taux moyen de 18 %, et devrait dépasser les 10 milliards d’euros de revenus d’ici 2025, d’après l’étude conduite par Telecoming. À cet horizon, la barre des 85 millions d’abonnements devrait être atteinte en France.
Actuellement, un Français en compte 2,5, contre 2,7 pour un Britannique et 3,4 pour un résident d’outre-Atlantique. Les États-Unis sont de loin le pays plus avancé sur ce marché. Au pays de l’oncle Sam, la dépense moyenne par consommateur s’élève à 237 $ par mois pour des abonnements, contre seulement 130 € par personne sur le Vieux Continent. Au final, les Européens consacrent 5 % de leur budget à ce poste de dépense, selon l’étude Fabernovel pour Zuora. Voir les Américains avoir une longueur d’avance dans le secteur n’a rien d’étonnant puisque 70 % des entreprises de l’écosystème sont installées aux États-Unis, selon UnivDatos Market Insight.
Pour autant, si le secteur de l’abonnement a actuellement le vent en poupe, il est loin d’être nouveau, comme le souligne Cyrille Thivat, CEO de Telecoming, dans le rapport Subscronomics Report 2021. “Le paiement par abonnement n’est pas une invention de l’économie numérique. Il remonte au milieu du XVIIe siècle, et c’est pendant les 10 premières années du XXIe siècle qu’il est apparu comme un modèle gagnant pour la commercialisation et la monétisation des produits et services.” En effet, c’est l’industrie de l’édition anglaise qui a proposé la première offre du genre voilà quatre siècles, remarque Fabernovel dans son étude réalisée pour Zuora.
C’est notamment le secteur des télécoms qui va l’adapter à l’époque contemporaine à la fin du XXe siècle, par exemple France Télécom qui a lancé le premier forfait téléphonique en 1996, avant que l’entreprise française (devenue Orange entretemps) ne propose des formules avec engagement incluant un téléphone mobile à l’occasion du lancement de l’iPhone en 2007. “L’abonnement est un modèle qui permet aux opérateurs téléphoniques d’attirer de nouveaux clients, mais aussi de capter et maintenir la relation client sur la durée”, souligne Fabernovel. Il s’agit d’un levier très important pour fidéliser le consommateur alors que ce dernier n’a jamais été aussi insaisissable pour les marques. Amazon Prime dès 2005, Spotify en 2006 et Netflix en 2007 l’ont parfaitement compris, remettant au goût du jour l’abonnement pour séduire les consommateurs avec des offres particulièrement attractives.
Étude Netflixisation : vers une généralisation de l’économie de l’abonnement pour toutes les industries ? réalisée par Fabernovel pour Zuora.
Vers une netflixisation de l’économie ?
Au-delà de proposer un modèle qui intéresse le consommateur, le plus souvent sans engagement afin d’éviter qu’il ne se sente emprisonné dans sa relation avec la marque, l’abonnement est surtout un moyen efficace pour les entreprises de générer des revenus récurrents et prévisibles sur la durée. Quand il s’agit d’évoquer le secteur, le premier nom qui vient à l’esprit est souvent Netflix, avant même le forfait téléphonique ou les mensualités pour le loyer, l’eau ou l’électricité. Au-delà de son approche basée sur une interface épurée, des recommandations personnalisées et un catalogue enrichi en permanence, comment Netflix est-il devenu le fer de lance de ce marché florissant, au point d’évoquer maintenant une “netflixisation” de l’économie ? Aux yeux de Cyril Vart, vice-président exécutif de Fabernovel, la réponse est assez simple : « Netflix, c’est celui qu’on a tous et dont on parle le plus. On a l’impression qu’il s’occupe de nous.”
Aujourd’hui, Netflix revendique 221 millions d’abonnés dans le monde, dont près 10 millions en France. Et malgré l’arrivée de nouveaux acteurs ambitieux de type Disney, la firme de Los Gatos ne perd pas d’abonnés. “L’abonnement est un modèle qui a permis à Netflix de maximiser la rétention de ses abonnés — dont l’acquisition est par nature très coûteuse et donc longue à rentabiliser — et son attractivité vis-à-vis des futurs clients. Plus le temps passe, plus la notoriété de Netflix grandit et plus il est difficile de convertir de nouveaux clients et donc d’autant plus important de garder ses abonnés existants”, souligne Fabernovel dans son étude pour Zuora. D’où l’importance pour la plateforme que “le client bénéficie d’une expérience ultra-personnalisée et d’un catalogue de contenus de qualité et constamment enrichi”.
L’engouement pour l’abonnement accéléré par la pandémie
Ce modèle économique a depuis convaincu de nombreuses entreprises, bien au-delà du streaming. Pour beaucoup d’entre elles, c’est la crise sanitaire qui a agi comme un détonateur, la propagation de la Covid-19 ayant fortement modifié les habitudes de consommation. “L’économie de l’abonnement a été le modèle économique de la pandémie. 2020 a été une année de transformation. Lors du premier confinement, nos habitudes et notre quotidien ont été perturbés. Les modèles financiers, les chaînes d’approvisionnement et les comportements d’achat ont changé presque du jour au lendemain et au niveau global. Nos besoins n’avaient pas changé (l’envie de faire du sport, d’aller au cinéma, de voir ses proches…) mais les moyens d’y répondre, eux, avaient changé”, explique Paulo Baptista, directeur général Europe du Sud de Zuora.
Dans ce contexte, ce modèle s’étend désormais à d’autres pans de l’économie. “Le ‘modèle Netflix’ s’est étendu à de nouveaux secteurs comme la grande distribution ou les banques et assurances, détaille Paulo Baptista, directeur général Europe du Sud de Zuora. Même si dans l’ensemble, la France ne s’en est pas trop mal sortie, la crise sanitaire a eu un impact social, notamment à cause de la hausse des prix. C’est en partie ce qui explique qu’un secteur comme la grande distribution prenne le virage de l’abonnement. Les distributeurs doivent aujourd’hui résoudre l’équation suivante : dans un contexte d’inflation alimentaire [selon l’Insee, les prix ont augmenté de 1,4 % en décembre, NDLR] et de forte concurrence (acteurs du quick commerce, hard-discounters…), comment à la fois fidéliser le client et augmenter leurs propres revenus ? Des enseignes comme Carrefour, Monoprix ou Casino considèrent que cela passe par l’abonnement. En l’espèce, il s’agit d’abonnements compris entre 5,99 et 9,90 €/mois qui donnent accès à des remises et à des services premium comme la livraison gratuite.”
Les initiatives en matière de formules d’abonnement et de location déferlent dans l’univers B2C. Un peu comme si elles étaient devenues des remèdes anti-crise pour nombre de ménages français.Benoît Samarcq, directeur d’études chez Xerfi
La grande distribution ne constitue pas le seul secteur à vouloir se tourner vers ce modèle qui prend des allures de nouvel eldorado économique. “Biens de consommation (hygiène, beauté, alimentation…), d’équipements (smartphones, articles de sport…) ou de services (livraisons, jeux vidéo, mobilité…) : les initiatives en matière de formules d’abonnement et de location déferlent dans l’univers B2C. Un peu comme si elles étaient devenues des remèdes anti-crise pour nombre de ménages français”, estime Benoît Samarcq, directeur d’études chez Xerfi et auteur de l’étude Les formules d’abonnement et de location vers de nouveaux horizons – Panorama des business models, des acteurs et des offres. “En clair, l’abonnement et la location ont investi de multiples marchés aussi divers que les services de vidéo à la demande (Netflix), les couches (les Petits Culottés), les produits alimentaires (Quitoque) ou les services de réparation (Darty Max)”, ajoute-t-il.
Les mégaoffres, une tendance d’avenir
Durant la pandémie, c’est Amazon qui a montré la voie, l’entreprise créée par Jeff Bezos ayant d’une certaine manière inventé “l’économie de confinement” avant qu’elle ne voie le jour. L’incarnation de cette vision est l’offre Prime qui combine livraison express de produits en tous genres et accès à des plateformes de streaming pour écouter de la musique et visionner des films, des séries et des événements sportifs. Amazon Prime compte désormais plus de 200 millions d’abonnés dans le monde, contre 150 millions en janvier 2020 (100 millions en avril 2018).
Cet ensemble de services est accessible pour 49 €/an en France ou 5,99 €/mois, alors que la valeur des avantages associés avoisine les 1200 €. Il faut dire qu’Amazon n’hésite pas à mettre la main au portefeuille pour étoffer son offre, en témoignent les 8,45 milliards de dollars mis sur la table en 2021 pour s’offrir le studio hollywoodien Metro-Goldwyn-Mayer, qui détient notamment les droits de la franchise James Bond, ou les 250 millions d’euros déboursés chaque année pour diffuser huit des dix matches de chaque journée de Ligue 1 sur la période 2021-2024. “Les organisations qui proposent de l’abonnement adoptent une culture de l’innovation continue pour proposer des offres évolutives à leurs clients”, relève Fabernovel.
Cette offre très large et attractive encourage les abonnés à la surconsommation, ce que décrit parfaitement Jeff Bezos avec une citation devenue célèbre : “Quand nous remportons un Golden Globe, cela nous aide à vendre plus de chaussures.” Autrement dit, la présence de la firme américaine dans des secteurs différents de son cœur d’activité, comme la production de films et séries, lui permet de stimuler ses performances dans le commerce en ligne où il est difficile de dégager des marges. De plus, “c’est une seule offre pour avoir plusieurs abonnements, ce qui évite de prendre plein de sous-abonnements”, note Cyril Vart.
Les mégaoffres tendent d’ailleurs à se développer dans la lignée d’Amazon Prime. “Le marché de l’abonnement se dirige vers l’agrégation de services en un abonnement unique et personnalisé où chaque consommateur pourra choisir ses prestations et mettre en pause celles dont il n’aura plus besoin. Ainsi, l’offre d’abonnement s’adapterait à chaque moment de vie des clients”, explique Fabernovel. Dans cette perspective, le groupe français cite les exemples de Citymapper qui a lancé en 2019 l’offre Citymapper Pass donnant la possibilité d’utiliser l’écosystème de transport de Londres (transport public, vélos, trottinettes, taxi…) au sein d’un seul et même abonnement. Idem, Apple a lancé en 2020 sa formule Apple One combinant les services Apple Music, Apple TV+, Apple Arcade, iCloud+ et Fitness+ en une seule offre.
Pour autant, si ces offres XXL sont très attractives pour les consommateurs, elles peuvent également représenter un risque d’abus de position dominante. Et pour cause, dès qu’une offre unique propose plusieurs services, il devient impossible de segmenter la facturation pour chacun. Cela pose également la question de la concentration des données personnelles au sein d’une seule et même entreprise. Des sujets qui ne manqueront pas d’éveiller la vigilance des régulateurs pour éviter des dérives similaires à celles dénoncées aujourd’hui concernant les Gafam.
Dans les prochaines années, ces mégaoffres devraient se multiplier, notamment avec l’envol de l’Internet des objets (IoT) qui va élargir le champ des possibles. “Si ce modèle est aujourd’hui courant dans le monde des télécoms ou de la mobilité (packs de chaînes TV, agrégation de services de divertissement, écosystème de transport…), la tendance va s’amplifier. Ce mouvement vers une centralisation des abonnements va également permettre aux entreprises de proposer des solutions de paiement à l’usage. Elles pourront non seulement proposer des services couvrant uniquement les besoins réels de chaque utilisateur, mais également adapter les tarifications en conséquence. Un service déjà disponible dans le secteur automobile avec les formules Pay as you Drive, qui devrait s’amplifier avec la montée en puissance de l’IoT”, prédit Paulo Baptista, directeur général Europe du Sud de Zuora. La netflixisation de l’économie n’en est donc visiblement qu’à ses débuts…